Le principe d’abrogation

Le Coran contient environ cent vingt versets7 qui appellent à la patience, au respect, à la discussion. Les versets appelant explicitement à la guerre, à tuer les infidèles, à combattre dans les sentiers de Dieu sont environ deux cent cinquante8 . De plus, compte tenu du principe d’abrogation, les versets violents ont, d’un point de vue théologique, plus d’importance que les autres. Voyons en quoi consiste ce principe : Un lecteur non averti pourrait voir dans la présence de versets contradictoires dans le Coran une liberté laissée à l’interprétation. Mais ce n’est pas de cette manière que les disciples du Prophète ont compris ces divergences. Pour eux, Allah a accompagné pendant une vingtaine d’années la naissance de la communauté musulmane. Cette naissance de la communauté des « vrais croyants » fut un temps exceptionnel. En effet comme toute naissance, c’est un moment délicat ou la communauté, encore fragile, se structure. Aussi Allah a fait descendre des versets spécifiques à ce moment particulier. Mais une fois l’islam bien établi, avant que Mahomet ne meure, et que la descente des versets ne s’arrête, Allah a révélé des versets qui serviraient aux générations futures. Ainsi selon ce principe, quel que soit le domaine, lorsqu’il existe deux versets contradictoires dans le Coran, cela signifie que le verset le plus ancien est lié au contexte particulier de la naissance de la communauté musulmane et qu’il est « abrogé », c'est-à-dire annulé et remplacé par le verset plus récent qui s’adresse aux générations futures. C’est Allah lui-même qui a énoncé le principe de cette exégèse dans le Coran9 . Si les versets appelant les musulmans à combattre les infidèles sont plus nombreux que ceux appelant à la tempérance, ils ont été en plus révélés en dernier. Prenons par exemple le verset dit « de l’épée », dans la neuvième sourate : « Les mois sacrés expirés, tuez les infidèles partout où vous les trouverez, faites-les prisonniers, assiégez-les et guettez-les dans toute embuscade ; mais, s'ils se convertissent, s’ils observent la prière et font l’aumône, alors laissez-les tranquilles, car Dieu est indulgent et miséricordieux. »10 Voici le commentaire de ce verset que fait Viviane Liati, agrégée d’arabe, docteur en histoire des religions, maître de conférences à l’Université Paris VIII : « Ce verset fait partie d'une sourate, la neuvième, (…) la dernière “ descendue ” et, de ce fait, (…) les prescriptions qu’elle contient ont une valeur définitive car elles ne peuvent plus être abrogées. Le Coran étant la parole éternelle de Dieu, son champ d’application ou son efficace performative ne sauraient être limités, en principe, ni dans l’espace ni dans le temps. »11 Hamadi Redissi, redit ici l’importance de ce verset : « Une lecture canonique de ce verset abroge de fait les cent quatorze à cent vingt-quatre versets qui appellent les musulmans à la patience, la tolérance… »12 Viviane Liati poursuit son propos en montrant comment, au XXe siècle, l’exégèse moderne du Coran a tenté de dépasser la théorie de l’abrogation. Elle commence par cette constatation : « La théorie de l’abrogation est trop bien établie pour être contestée, mais ce qui peut être discuté, ce sont les modalités de son application. »13 Elle prend l’exemple du Manâr14 , qui propose de passer du principe de l’abrogation à celui de « l’oubli ». Allah n’aurait pas abrogé, supprimé, les anciens versets par la descente de nouveaux, mais appellerait les musulmans à les oublier. Cette nuance autoriserait les musulmans à observer un temps, si le contexte les y incite, les anciennes prescriptions. Viviane Liati reprend maintenant le Coran en utilisant les principes de cette exégèse moderne : « Lorsque les musulmans sont en position de faiblesse et qu'ils sont minoritaires, ils doivent “ oublier ” l'injonction de combattre et au contraire prendre patience devant les préjudices qu'ils subissent, jusqu'à ce qu'ils soient en position de force. À ce moment-là, ils pourront alors “ oublier ” l'appel à la résignation et assumer le devoir de combattre. On ne doit donc pas parler dans ce cas d'abrogation car cela signifierait qu'une prescription est abolie définitivement et qu'il n'est plus permis de l'observer. »15 Ainsi même si temporairement la guerre sainte ne s’exprime pas, elle peut ressurgir à tout moment, mettant ainsi en pratique la parole divine.

 Ceux qui répètent que l’islam appelle à la paix

On entend souvent de la part d’intellectuels musulmans que l’islam est une religion prônant la paix. Dans les extraits suivants Soheib Bencheikh, ancien grand mufti de Marseille, chercheur en science islamique, réformateur, pointe le cœur du problème : « Les intellectuels se réclamant de la confession musulmane répètent sans cesse que l’islam est fraternité, paix, tolérance. Ils ont certainement raison, mais ils n’ont aucun soutien théologique qui permette d’appuyer la plupart de leurs affirmations. Les modérés veulent à la fois relever et embellir l’image de leur religion (…). Ce qu’ils disent de l’islam (…) n’est pas le résultat d’un travail théologique laborieux, ou de déductions textuelles logiques, mais des affirmations ne traduisant qu’un souhait. Seule la version archaïque du droit musulman demeure (…) cohérente avec elle-même et offrant une vision globale des choses. Cependant, son application dans le domaine relationnel relève de la folie.»16 Il écrit encore : « Aujourd’hui (…) la majorité des musulmans vivent leur religion dans la modération. Mais cela ne va pas sans malaise. Car cette modération n’est pas le fruit d’un travail cohérent et convaincant ; elle est dictée par l’instinct, par le bon sens, ou simplement par pragmatisme et le besoin de sociabilité. »17 Ainsi, pour reprendre les propos de Soheib Bencheikh, ceux qui répètent que l’islam est paix, devraient dire pour être exacts qu’ils souhaiteraient que l’islam soit paix, car les fondements de l’islam n’invitent absolument pas à cette conclusion.

Explications

Ibid., p. 87. DELCAMBRE Anne-Marie, L’islam des interdits, Paris, éditions Desclée De Brouwer, 2003, p.22. Coran (II, 106 ; trad.k. II, 109) 10 Coran (IX, 5 ; trad.k. IX, 5) 11 LIATI Viviane, De l’usage du Coran, éditions Mille et une nuits, 2004, pp.82-83. 12 REDISSI Hamadi, L’exception islamique, Paris, éditions du Seuil, 2004, pp. 87-88. 13 LIATI Viviane, De l’usage du Coran, éditions Mille et une nuits, 2004, p.86. 14 El Manâr, le phare en arabe, est une revue égyptienne spécialisée dans toutes les questions liées à la foi musulmane. 15 LIATI Viviane, De l’usage du Coran, éditions Mille et une nuits, 2004, pp.87-88. 16 BENCHEIKH Soheib, Marianne et le Prophète, Paris, éditions Grasset et Fasquelle, 1998, pp.145-146. 17 Ibid., p.146  
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