Pour les réformateurs qui défendent la possibilité d’une nouvelle interprétation du Coran, le postula est le suivant : ce ne sont pas les sources de l’islam qui posent problème, mais la lecture qui en est faite. Ainsi, d’après ces réformateurs, il existerait une autre lecture possible des textes fondateurs de l’islam (Coran, hadith, sira, fiqh) qui permettrait de rendre ces textes compatibles avec les valeurs occidentales sans avoir à en rejeter telle ou telle partie. À ce jour, personne n’a encore trouvé cette nouvelle interprétation. Voyons maintenant les obstacles qui se dressent face à l’émergence de cette nouvelle interprétation.

Lois de Dieu, lois de hommes

Prenons un exemple : dans la quatrième sourate une série de versets détaille les modalités à appliquer en cas de succession. Le premier article est le suivant : « Dieu vous commande, dans le partage de vos biens entre vos enfants, de donner aux fils mâles la portion de deux filles... »4 Puis les différents cas sont envisagés : s’il y a des ascendants, s’il n’y a qu’un enfant, s’il n’y a que des filles etc… Le passage se termine en soulignant que les musulmans qui n’appliqueront pas ces lois finiront en enfer : « Tels sont les commandements de Dieu. (…) Celui qui désobéira à Dieu et à l’Apôtre (Mahomet), et qui transgressera les lois de Dieu, sera précipité dans le feu (de l’enfer) où il restera éternellement, livré à un châtiment ignominieux. »5 Les versets sont clairs, sans ambiguïté et on ne voit pas quel type de relecture pourrait concilier ce code juridique divin, immuable, avec un système démocratique où les lois sont en perpétuelle évolution, et sont votées par les représentants du peuple. En tant que musulman, à qui doit-on obéir : à Dieu ou aux députés ? Tel est le dilemme qu’impose l’islam aux musulmans.

Le Coran, parole définitive de Dieu

L’auteur du Coran, c’est Dieu, pas Mahomet. Les mots du Coran sont les mots de Dieu. Mahomet n’est qu’un intermédiaire, il ne fait que transmettre à ses compagnons l’écrit de Dieu que l’ange lui a montré. Autrement dit, il est impossible de remettre en cause la justesse de tel ou tel verset. De plus, le Coran est la parole définitive de Dieu, il n’y en aura pas d’autres. On ne peut donc pas en limiter la portée, on ne peut pas la restreindre au contexte dans lequel elle est descendue en disant que Dieu s’est adressé à certains hommes mais que d’autres versets descendront pour les autres hommes. Dieu a donné à l’humanité sa parole définitive. Chaque verset exprime directement la volonté divine adressée à tout homme, quelle que soit sa culture, quelle que soit l’époque dans laquelle il vit. Comme l’écrit Abdelwahab Bouhdiba, professeur à l’Université de Tunis et président de l’Académie des Sciences de Tunisie : « Coran, hadiths et fiqh constituent l’invariant par excellence. (…) Même si la Révélation est située hic et nunc (dans un contexte particulier), le contenu est perçu comme message éternel et extra-temporel. Il dit le modèle que Dieu a choisi pour sa communauté ; et ce choix divin ne saurait subir de changement. »6

L’interprétation du Prophète

Enfin la marge d’interprétation du Coran est d’autant plus faible que l’on sait, grâce au Hadith et à la sira, comment Mahomet l’a interprété. Le Hadith et la sira constituent les biographies canoniques du Prophète, rédigées à partir des témoignages de ses compagnons (Cf. La sira, le hadith et la sunna). Par exemple, lorsque des versets appelant à tuer les infidèles descendent, le Prophète obéit et va concrètement tuer des infidèles. Il ne donne pas à ces appels un sens allégorique. Or, qui peut prétendre mieux interpréter le Coran que celui qui l’a reçu ? On retrouve par exemple dans la sira : « L’Envoyé d’Allah se prépara pour faire la guerre, afin d’exécuter l’ordre que Dieu lui intima de faire le jihâd contre l’ennemi. »7 Le Hadith et la sira donnent de nombreux détails sur les batailles menées par le Prophète, sur les meurtres qu’il a commandités, sur les exécutions qu’il a ordonnées (Cf. Médine). Il existe parfois dans le hadith ou la sira plusieurs versions d’un même événement. Ces versions ont souvent quelques divergences mais elles ne changent pas le fond du problème. Il n’existe pas de version qui donnerait à Mahomet les traits d’un Gandhi musulman. Face à une parole directe de Dieu qui définit avec précision un modèle de société et une manière d’être homme, les théologiens musulmans disposent d’une marge de liberté extrêmement faible. On peut donc légitimement s’interroger sur la forme qu’aurait cette hypothétique théologie qui pourrait à la fois conserver l'intégralité des sources scripturaires de l’islam (Coran, hadith, sira, fiqh) et en même temps les concilier avec les valeurs occidentales.

Un Concile Vatican II musulman ?

Certaines personnes voient dans le Concile Vatican II (1962-1965) l’ouverture de l’Eglise catholique à la modernité et attendent une sorte de « Concile Vatican II musulman ». Ces personnes commettent une grossière erreur. Il n’existe pas dans le christianisme de code juridique divin comme dans l’islam (Cf. Les 3 monothéismes et la Loi §2). De plus, si, dans une perspective occidentale, la vie de Mahomet pose problème, ce n’est pas le cas de celle de Jésus. Ainsi, le Concile Vatican II ne constitue pas un compromis entre l’Évangile et la « modernité », en ce sens que le Concile ne remet en cause aucune parole, aucun geste du Christ. Ce qu’il adapte, c’est la structure de l’Église afin qu’elle rende mieux compte de l’Évangile dans le monde moderne. Or cet exercice est impossible à réaliser du côté musulman car adapter l’islam au monde contemporain impliquerait une remise en cause de certaines prescriptions du Coran, une remise en cause de l’exemplarité de la vie du Prophète, autrement dit, une remise en cause des fondements mêmes de l’islam. Conscient de cette impossibilité de concilier les fondements de l’islam dans leur ensemble avec les valeurs occidentales, d’autres réformateurs ont décidé de supprimer ce qui, dans les fondements de l’islam, leur paraissait incompatible avec les valeurs occidentales. Mais ces réformateurs vont se heurter à de nouveaux problèmes…

Explication

4 Coran (IV, 12) 5 Coran (IV, 17-18) 6 BOUHDIBA Abdelwahab, La sexualité en islam, Paris, éditions P.U.F., 2003, p. 11. 7 Sira (IBN ISHAQ, Sîra Al-Rasûl, trad. ‘Abdurrhmân Badawî, Muhammad, Beyrouth, éditions Al-Bouraq, 2001, tome 1, p. 496.)