Le 22 juillet 2011, Anders Behring Breivik commet un double attentat causant la mort de 76 personnes dont 68 jeunes venus assister à un meeting de la jeunesse travailliste. Quelques heures avant son attentat, Anders Behring Breivik a publié sur Internet une vidéo mettant notamment en scène l’image d’un croisé et un texte de plus de 1500 pages qu’il a rédigé en neuf ans, expliquant les raisons de son attaque. La police norvégienne s’attendait à un attentat islamique suite à la participation de la Norvège à la guerre en Afghanistan. Elle découvre avec stupéfaction que l’auteur n’est pas un fondamentaliste musulman mais « un fondamentaliste chrétien ». Cet étiquetage rapide de la police norvégienne donné quelques heures après l’arrestation du terroriste va immédiatement faire le gros titre des médias. Suite à l’analyse des documents laissés par le tueur, Dominique Reynié, professeur à Sciences Po, remet en cause cette étiquette de fondamentaliste chrétien : « Je ne sais pas pourquoi on l’a qualifié de fondamentaliste chrétien (…) Lorsque vous regardez ce qu’il a écrit ça n’a rien à voir, il n’y a pas de référence théologique, il n’y a pas de référence à des écritures, c’est décoratif, il est plus habité par une iconographie de type BD ou jeu vidéo renvoyant à des images qui effectivement met en scène des croisés mais il n’a aucune référence substantielle. (…) En Norvège il y a un parti qui est assez proche de ce que l’on pourrait appeler un fondamentalisme chrétien qui est un petit parti fondé assez récemment en 2002 (…) Ces chrétiens ultranationalistes veulent relancer le christianisme et l’enseignement de la Bible, c’est pas le parti qu’il a choisi, il n’a jamais été membre de ce parti, il a été membre du parti du progrès (parti populiste de droite) qui est assez éloigné de ces références chrétiennes. »10 Il n’y a dans le texte de plus de 1500 pages de Breivik aucune référence biblique, aucune référence théologique. Il n’est pas membre du parti chrétien, mais du parti populiste. Il n’est pas protestant pratiquant. Il n’est pas lié à une église particulière, à une association chrétienne. Breivik a une haine du marxisme, du multiculturalisme, de l’islam, car il voit en eux des menaces pour la culture européenne. Le christianisme est un élément de cette culture, mais ce n’est pas au nom du christianisme qu’il a commis ce massacre. Ce n’est pas au nom du Christ, au nom de l’Église ou même pour relancer le christianisme qu’il a commis cet attentat. Ce n’est pas la vie du Jésus, ou telle ou telle parole du Christ, qui l’ont inspiré. Trois formes de terrorisme   Il faut bien distinguer trois formes de terrorisme : La première est le terrorisme perpétré par une personne appartenant à une religion, mais dont sa religion n’est pas le moteur de son acte, le moteur pouvant être le patriotisme, l’argent, des raisons ethniques… C’est à ce niveau que semble se situer le double attentat de Breivik. Cette première forme de terrorisme n’est pas du terrorisme religieux. La deuxième forme est un terrorisme dont l’objectif est religieux mais qui n’est pas soutenu par les fondements de la religion défendue. C’est par exemple le cas de l’inquisition au XIIIe siècle (même si le mot terrorisme est quelque peu anachronique). L’objectif est religieux, il s’agit de défendre le christianisme contre l’hérésie cathare, mais les actions commises par l’inquisition constituent une dérive au regard de l’Évangile. Cela ne signifie pas nécessairement que les terroristes comprennent mal les fondements de leur religion, ils peuvent avoir tout à fait conscience que leur action est condamnée par la religion qu’ils s’efforcent de défendre, mais ils estiment que l’entorse qu’ils font est nécessaire à sa survie. Ce terrorisme se justifie comme nécessaire à la survie de principes qui fondamentalement le condamnent. Afin de mieux comprendre cette deuxième forme de terrorisme, on peut la transposer dans le domaine politique. Les actions des révolutionnaires durant la Terreur11 en constituent alors une bonne illustration. Au nom d’un idéal républicain, les révolutionnaires vont commettre en conscience des actes que cet idéal condamne. Mais c’était selon eux le prix à payer pour sauver la République. C’est aussi le cas de nos démocraties modernes qui justifient ce type d’action parce qu’elles nomment pudiquement la Raison d’État. Elles s’autorisent au nom de la sauvegarde des intérêts vitaux de l’État de s’écarter un temps des valeurs qu’elles promeuvent. La troisième forme est un terrorisme directement inspiré par les fondements de la religion des terroristes. Leur religion leur fournit l’assise théorique dont va émerger l’acte terroriste. Ce terrorisme ne constitue alors plus une dérive par rapport aux principes qu’il défend, mais leur mise en application. Lorsque Mohammed Bouyeri assassine Théo van Gogh, il ne va pas à l’encontre des fondements de l’islam, bien au contraire il s’inspire directement de la vie du Prophète. Si on transpose cette troisième forme de terrorisme dans le domaine politique, nous pouvons en trouver une illustration dans toutes les dictatures. Ces dernières refusent par définition le pluralisme politique et organisent une chasse à l’opposant. Il ne s’agit pas d’une dérive mais d’un principe structurel.

Le syndrome de l’autruche

Il existe de la part des média et des politiques institutionnels une volonté de ne pas voir le lien entre les actes terroristes islamiques et les fondements de l’islam. C’est de ce refus de voir qu’a émergé la théorie du boomerang, faisant retomber la responsabilité du terrorisme islamique sur l’Occident. D’autres rhétoriques ont été mises en place, l’une d’entre elles consiste à rechercher dans le passé du christianisme des similitudes avec le présent de l’islam. La logique implicite est alors la suivante : « Nous avons été ce qu’ils sont, donc ils deviendront ce que nous sommes. » L’inquisition sert souvent d’appui à cette rhétorique qui devient alors : « Comme il y a eu l’inquisition, cette dérive du christianisme, il y a le terrorisme islamique cette dérive de l’islam. L’islam vit aujourd’hui ce que nous avons vécu jadis. Il finira donc comme le christianisme, par s’intégrer dans nos démocraties modernes. » Cette rhétorique, comme celle du boomerang, part du principe que l’islam est une religion de paix et que les terroristes agissant au nom de l’islam n’ont finalement de musulman que le nom. Breivik, avec son double attentat, vient de fournir à qui le veut une nouvelle raison de ne pas voir. Lors d’une interview deux jours après les attentats, Mathieu Guidère professeur d’islamologie à l’université de Toulouse affirmait : « Breivik représente, selon moi, un nouvel avatar du terrorisme global, celui du fondamentalisme chrétien (…) Le fondamentalisme chrétien est le pendant du fondamentalisme islamiste. Les uns et les autres affichent la même terminologie, les mêmes concepts, les mêmes référents historiques, en l'occurrence l'époque des croisades. »12 Voilà comment créer un nouvel écran de fumée, en brouillant à nouveau les pistes, en dédouanant à nouveau l’islam de tout lien avec le terrorisme islamique : « Les terroristes ne sont finalement pas plus musulmans que chrétiens, ils parlent tous le même langage, ont les mêmes références historiques, ce sont tous des avatars du terrorisme global. » Pour reprendre ce que disait Hassan But, cet ancien djihadiste britannique, les terroristes pourront encore remercier un certain temps ces média, ces hommes politiques, ces spécialistes qui « empêchent toute analyse critique du véritable moteur de notre violence : la théologie islamique. »13

Explication

10 REYNIE Dominique, C dans l’air, France 5, 25/07/2011. 11 La Terreur : Période de la Révolution Française où a été mis en place un pouvoir d’exception reposant sur la force et la répression. 12 GUIDERE Mathieu, Anders Breivik est un nouvel avatar du terrorisme global, lefigaro.fr, 24/07/2011. 13 BUTT Hassan, Obsédés par ce monde de mécréants, Courrier international, n°870, 5 – 11 juillet 2007, p. 12.