Le Brahman, l’âtman et la mâyâ

Publié le : 18 mars 202011 mins de lecture

Du védisme à l’hindouisme

L’hindouisme est né du Brahmanisme, lui-même issu du védisme. Nous allons dans un premier temps reprendre rapidement ces trois moments de la civilisation indienne. Car les termes, objets de notre étude, ont vu leur sens se transformer, se préciser au gré de ces mutations civilisationnelles.

Le védisme est une civilisation importée en Inde par une population provenant d’Iran. Le cœur du védisme n’est constitué ni de dogmes, ni de réflexions métaphysiques, mais de rituels complexes dont l’efficacité s’appuie sur la récitation d’hymnes magiques. Si le rituel est bien opéré, il génère une énergie appelée Brahman. C’est là le premier sens de Brahman, cette énergie qui signe l’efficacité du rituel védique. Il existe différents types de prêtres officiant lors d’un rituel, celui qui est en charge de surveiller les autres et qui est le garant de la bonne marche du rituel se nomme le brahmane.

Les hymnes védiques ont fait l’objet d’une transmission orale pendant près de trois millénaires. Ils furent fixés par écrit aux alentours du XIVe siècle av. J.C. sous le nom de Véda ce qui signifie la Science du sacré ou le Savoir suprême.

Entre le Xe et le VIIe siècle av. J.C., les brahmanes rédigèrent des commentaires, les Brahmana, qui apportent une réflexion métaphysique au védisme qui était essentiellement ritualiste. Ces réflexions ont porté sur l’énergie résultant des rituels védiques, le Brahman, et ont fini par voir en cette énergie, l’absolu, la source et le fondement du monde. S’ouvre alors une nouvelle ère, celle du Brahmanisme.

Ces recherches métaphysiques ne s’arrêtent pas là. D’autres textes voient le jour et vont marquer la transition du Brahmanisme vers l’hindouisme. Il s’agit des Aranyaka, textes essentiellement ésotériques, et des Upanishads, textes philosophiques et métaphysiques rédigés entre 800 av JC et 1300 de notre ère qui vont notamment traiter du rapport entre l’âme (l’âtman) et l’absolu (le Brahman).

Suite à cette brève rétrospective, nous allons voir de manière plus précise ce que sont le Brahman, l’âtman et la mâyâ dans l’hindouisme.

Le Brahman et la mâyâ

Lorsque nous regardons le monde, nous pouvons observer une multitude d’êtres vivants ; nous ressentons une multitude d’expériences visuelles, auditives, olfactives, tactiles. Pourtant, derrière cette apparente diversité il n’y a que le Brahman. A la racine de tous ces phénomènes observés ressentis, il n’y a que le Brahman.

Le Brahman est l’absolu. Il est éternel, immuable. Il est la source et le fondement de tout, il est « le Réel du réel », car notre monde (ce que nous prenons pour la réalité) n’est finalement qu’une illusion. Cette illusion, c’est la mâyâ.

La mâyâ, c’est l’illusion d’un monde physique considéré par notre conscience comme étant la réalité. Cet aveuglement, cette ignorance dont nous sommes atteints se nomme la nescience.

Les maisons, les arbres, le vent, le ciel, tout cela n’est qu’une illusion, car, derrière ce rideau que constitue la mâyâ, il n’y a que le Brahman.

L’âtman, « le régisseur interne »

Chaque être vivant a une âme, nommée âtman. L’âtman, c’est le principe vital de chaque être vivant, le noyau spirituel, ce qui permet de voir, de ressentir, de penser. Mais nous n’avons jamais accès directement à lui, nous ne pouvons qu’avoir l’intuition de sa présence. Voici ce que l’on retrouve à son propos dans les Upanishads :

« Le Soi (âtman) habite tous les êtres, il est dans tous les êtres ; mais les êtres ne le connaissent pas : tous les êtres sont son corps, il contrôle tous les êtres du dedans. Il est non vu, mais il voit ; non entendu mais il entend ; non pensé, mais il est « le penseur ». Il est inconnu, mais le connaisseur. (…) Il est le Soi, le Régisseur interne, l’Immortel. »1

François Chenet, maître de conférences à l’université de Paris-Sorbonne, reprend ici ce paradoxe de l’âtman :

« Ce Soi, qui est en tout, est le « voyant de la vue » que l’on ne peut voir, le « connaisseur de la connaissance » que l’on peut connaître, etc… Le Soi est ainsi ce par quoi tout est manifesté et qui n’est manifesté par rien. (…) C’est donc par l’intuition que l’on saisira l’indéchiffrable présence de cette essence spirituelle au tréfonds de notre esprit, intimius intimo meo comme dira saint Augustin, c’est-à-dire à l’extrême de l’intériorisation. »2

L’âtman sans attache

L’âtman est une âme sans attache, sans lien, sans sentiment, que rien de peut affecter, entacher.

« Ce Soi est indestructible, car il ne peut être détruit ; sans attache, car il ne s’attache à rien ; il est sans lien, il ne tremble pas, il ne subit aucun mal. »3

L’âtman du pire des meurtriers est le même que celui du plus grand des saints. L’âtman est un principe vital qui ignore la vie, c’est le régisseur interne qui ignore les corps qu’il régit.

L’âtman et la réincarnation

L’âtman, porté par le désir et les actes qui en découlent, passe de vie en vie, de corps en corps comme une chenille qui passent de feuille en feuille. C’est lui qui se réincarne.

L’âtman et le Brahman

Comme le dit ce très beau texte des Upanishads, cet âtman qui anime tous les êtres vivants n’est finalement rien d’autre que le Brahman :

« Ce mien âtman résidant en l’intime du cœur est plus petit qu’un grain de riz, d’orge, de moutarde, de millet, que le noyau d’un grain de millet. Ce mien âtman résidant en l’intime du cœur, est plus grand que la terre, plus grand que tous ces mondes. Il contient, toute activité, tout désir, toute odeur, toute saveur, il enveloppe tout cet univers, mais reste muet, indifférent. Ce mien âtman résidant en l’intime de mon cœur, c’est Brahman. »4

La moksha

La moksha, c’est la libération, la fin des réincarnations successives, le retour de l’âtman dans le Brahman, le retour de l’étincelle dans le feu dont elle est issue :
« Comme des étincelles par milliers jaillissent d’un feu flambant, ressemblant toutes au feu, ainsi les êtres variés procèdent de cet Impérissable ; et en vérité, ils retournent en Lui. »5

Il n’existe réellement que le Brahman. Tout le reste, c’est la mâyâ. Tout le reste n’est qu’illusion.

Nous nous débattons dans le grand jeu social. Nous mobilisons tous nos efforts pour être plus riches, plus beaux, plus compétents alors que tout n’est qu’illusion. Tels des aveugles, nous nous battons pour des causes illusoires, nous nous gonflons d’orgueil pour des victoires illusoires, nous souffrons pour des défaites illusoires. La nescience, cet esclavage dans l’illusion, est finalement le plus grand mal dont nous soyons atteints.

L’éveil, c’est voir au-delà de cette illusion, c’est voir qu’au-delà de cette multiplicité qui s’offre à nos sens se cache l’unité. C’est prendre conscience que tout, absolument tout n’est que le Brahman. Nous ne sommes pas un pauvre, un riche, une femme, un homme, un vieillard, un enfant, nous sommes le Brahman.

« Cet homme, (…) doué de connaissance suprême, ne connaît quoi que ce soit d’autre, extérieur ou intérieur (que le Brahman). C’est là sa forme libre de souci, dans laquelle tous les désirs sont exaucés ; dans laquelle son désir unique est le Soi ; dans laquelle il est sans désir. Dans cette situation, un père n’est pas un père, une mère n’est pas une mère, les mondes ne sont pas des mondes, les dieux ne sont pas des dieux,… un voleur n’est pas un voleur, un ascète n’est pas un ascète. Sans être accompagné d’actes vertueux, sans être accompagnés d’actes mauvais, il est passé sur l’autre rive, au-delà des soucis du cœur. »6

Les personnes ayant atteint l’éveil sont libres de toutes les contingences sociales fruits de la mâyâ. Elles attendent leur dernière mort, n’étant plus en prise avec ce désir moteur de la réincarnation et cause de toutes les souffrances.

1 Brhadâranyaka Upanishad, III, 7, 1, trad. Heinrich Zimmer, Les philosphies de l’Inde, éditions Payot et Rivages, Paris, 1996, pp. 288-289.
2 CHENET François, La philosophie indienne, éditions Armand Colin, Paris, 1998, pp.14-15.
3 Brhadâranyaka Upanishad, IV, 5, 15, trad. Heinrich Zimmer, Les philosphies de l’Inde, éditions Payot et Rivages, Paris, 1996, p. 286.
4 Taittirîta Upanishad, II.1, trad. François Chenet, La philosophie indienne, éditions Armand Colin, Paris, 1998,p. 15.
5 Mundaka Upanishad, II, 1, 1, trad. Heinrich Zimmer, Les philosphies de l’Inde, éditions Payot et Rivages, Paris, 1996, pp. 288-290.
6 Brhadâranyaka Upanishad, III, 7, 1, trad. Heinrich Zimmer, Les philosphies de l’Inde, éditions Payot et Rivages, Paris, 1996, pp. 292-293.

T.P. – lesReligions.fr – avril 2011

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